Quatre idées pour la réussite éducative des étudiant·e·s en situation de handicap au collégial


Le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec a récemment tenu son Chantier sur la réussite en enseignement supérieur. Le CRISPESH, qui a obtenu l’an passé une subvention du ministère pour mener des projets de recherche appliquée sur la réussite éducative au collégial des étudiantes et étudiants en situation de handicap, a participé activement à ces échanges fort enrichissants. Dès le printemps dernier, notre centre de recherche s’était d’ailleurs attelé à réfléchir aux pistes d’action pouvant contribuer à la réussite éducative au collégial dans une perspective inclusive. Nous partageons, dans ce billet de blogue, le fruit de nos réflexions. 

1. Pour une valorisation de la diversité et de l’inclusion au sein des cégeps et dans la société québécoise

La proportion de la population étudiante en situation de handicap est en constante augmentation dans le réseau collégial, signe encourageant de l’accessibilité des études supérieures. Les situations de handicap rencontrées sont également diversifiées : limitations fonctionnelles, troubles d’apprentissage, enjeux de santé mentale, etc. Malgré cette réalité, le CRISPESH constate une visibilité limitée de la réussite aux études supérieures et en emploi d’étudiant·e·s qui ont vécu des défis dans leur parcours scolaire au collégial, en particulier en lien avec une situation de handicap. Dans la sphère de l’emploi, par exemple, plusieurs organismes, dont l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) à travers le Mouvement Entreprise inclusive, s’attellent à valoriser le rôle de ces personnes dans les milieux de travail. La stigmatisation liée au dévoilement d’une situation de handicap peut constituer une barrière à la valorisation de la diversité. Dans les cégeps, la volonté d’autonomie, associée à l’enjeu de la stigmatisation, peut parfois inciter certain·e·s étudiant·e·s à ne pas franchir la porte des services d’aide à l’intégration. Ces services sont pourtant essentiels à la réussite de plusieurs d’entre eux pour lesquels des accommodements s’avèrent nécessaires. La campagne lancée en 2020 par le Centre collégial de soutien à l’intégration (CCSI) de l’Ouest Je fais le saut dans le réseau collégial est à saluer à ce titre. 

Face à ces constats, le CRISPESH propose que soient organisées davantage d’actions et de campagnes de sensibilisation axées sur la diversité et l’inclusion, au sein des cégeps, de façon à valoriser les parcours d’étudiant·e·s, dans toute leur diversité. Mettre ainsi de l’avant différents modèles peut en effet s’avérer un moteur de persévérance. Ces actions devraient être menées en collaboration avec les acteurs des milieux et des diplômé·e·s, et refléter la multiplicité des parcours scolaires et professionnels existants. La campagne du réseau des cégeps Unique. Comme vous. est un premier pas dans cette voie.

La portée de telles actions pourrait toutefois être limitée sans une réflexion systémique, au sein des cégeps, sur la diversité et l’inclusion. Quelques établissements ont entrepris de se doter d’une politique ou stratégie d’inclusion. Ces démarches, qui restent encore trop marginales dans le réseau, méritent d’être reconnues et soutenues, pour inspirer d’autres collèges. Le CRISPESH croit également que de telles démarches devraient faire l’objet d’un accompagnement par des personnes qualifiées, de façon notamment à s’assurer qu’elles tiennent compte des situations de handicap. On a pu constater, en effet, une tendance à négliger les situations de handicap dans les réflexions initiées sur l’équité, la diversité et l’inclusion dans les milieux de travail

2. Pour une transition vers le milieu collégial mieux préparée

La transition vers l’enseignement supérieur est une étape clé dans le parcours scolaire ; elle l’est d’autant plus pour les étudiant·e·s en situation de handicap. En effet, plusieurs décalages peuvent les déstabiliser à leur arrivée au cégep. D’abord, le niveau d’encadrement au secondaire contraste avec l’autonomie nécessaire pour faire son chemin aux cycles supérieurs. En outre, l’accès aux services de soutien et d’aide, offerts à tout élève au secondaire, est restreint dans les cégeps par la nécessité d’avoir un diagnostic médical mettant en évidence une ou plusieurs limitations. Plusieurs apprennent ainsi à leurs dépens qu’un long chemin les attend pour obtenir un diagnostic qui leur permettra de bénéficier des accommodements essentiels à leur réussite. Enfin, à leur arrivée au cégep, les étudiant·e·s doivent « apprendre à apprendre ». L’acquisition ou la consolidation des fonctions exécutives permet leur autonomisation. Elles s’avèrent d’une aide précieuse tout particulièrement pour la population étudiante en situation de handicap. Elles ne sont toutefois pas systématiquement acquises à l’entrée au cégep.

De façon à faciliter cette transition, étape cruciale dans le parcours éducatif, le CRISPESH croit que davantage d’initiatives interordres seraient bénéfiques. Par exemple, il pourrait être utile d’informer les acteurs du secondaire des attentes et des services disponibles dans les cégeps, de façon à ce qu’ils puissent relayer ces informations aux élèves qui souhaitent y poursuivre leurs études. Soutenir les étudiant·e·s dans l’acquisition de certaines fonctions exécutives pourrait en outre faire gagner un temps précieux à leur arrivée au cégep. Au sein des cégeps, l’accueil et l’intégration des étudiant·e·s en situation de handicap devraient faire l’objet d’une attention particulière. À cet égard, les programmes de mentorat ou de soutien par les pairs sont des initiatives intéressantes. Enfin, une dynamique de collaboration interprofessionnelle et interordre visant la mise en place d’un continuum de services pourrait être mise en place. Le défi de l’obtention d’un diagnostic pour celles et ceux qui ont besoin d’accommodements au cégep en est un de taille dans cette transition. Ce défi nécessite une réflexion intersectorielle sur le coût et l’accès aux services de santé, et la mission de soutien à la population étudiante promue par le ministère. 

3. Pour des pratiques et un environnement adaptés aux besoins de la communauté étudiante, dont les étudiant·e·s en situation de handicap

Certains des défis mentionnés ci-dessus pourraient être atténués par une éducation inclusive. Si ce message prend de l’ampleur dans le réseau, les changements concrets restent néanmoins timides. Ainsi, les pratiques pédagogiques inclusives existent, sans toutefois constituer un socle de pratiques majoritaires dans le réseau. Ce changement nécessaire est sans doute freiné par une compréhension encore limitée des réalités, défis et enjeux liés aux situations de handicap, et des bénéfices démontrés d’une perspective inclusive. Face à ces constats, le CRISPESH croit qu’il est essentiel de mettre en place de la formation continue et de déployer des actions de sensibilisation auprès du corps enseignant sur ces sujets. Pour soutenir ce point, le CRISPESH organise en juin un symposium en collaboration avec UDL Dawson sur la pédagogie inclusive au Québec. Un projet portant sur l’autonomisation enseignante en inclusion de la diversité étudiante au collégial est également en cours, mené par le cégep André-Laurendeau, en collaboration avec le CRISPESH. L’élaboration de politiques Équité, Diversité et Inclusion dans les cégeps viendraient également soutenir et légitimer un certain nombre d’actions concrètes du terrain. Enfin, la participation de la population étudiante, dont les étudiant·e·s en situation de handicap, à certains espaces de prise de décision au niveau collégial, aux côtés du corps professoral et des autres acteurs des cégeps, devrait être encouragée, voire institutionnalisée. La rencontre des réalités de chacun de ces acteurs est un pas vers la compréhension des besoins et des défis vécus, ce qui incite au changement. 

On ne saurait faire abstraction d’une autre réalité apparue dans la vie des cégépiens et cégépiennes en 2020 : la pandémie de covid-19. Cette pandémie a amené son lot de détresse psychologique chez les étudiant·e·s du postsecondaire, comme l’ont montré plusieurs enquêtes au Québec. La santé mentale a d’ailleurs fait l’objet d’une consultation du ministère de l’Enseignement supérieur en février dernier, consultation à laquelle le CRISPESH a également participé. Ces enjeux de santé mentale, qui préexistaient au sein de la population collégiale, se sont ainsi amplifiés récemment, renforçant certaines situations de handicap, en créant parfois de nouvelles. En effet, dans la récente enquête de la Fédération étudiante collégiale au Québec, 69,2 % des personnes étudiantes en situation de handicap déclarent avoir vu leur santé psychologique se détériorer en raison de la covid-19. Face à ces défis, il semble évident de poursuivre les réflexions intersectorielles et interprofessionnelles pour aborder de façon systémique les enjeux de santé mentale au collégial. Selon le CRISPESH, un continuum de services cohérent au sein des cégeps doit être au cœur de ces réflexions.

Parmi les sujets au cœur de la détresse psychologique de la population étudiante se trouve l’utilisation massive du numérique en enseignement. Dès 2019, une équipe du CRISPESH a entrepris des travaux de recherche en lien avec ce sujet alors peu documenté. Rejoignant les constats de la FECQ et d’autres, le CRISPESH remarque que les personnes étudiantes doivent être particulièrement soutenues dans un contexte d’apprentissage numérique. Ce virage numérique entamé en 2020 doit aussi être l’occasion de mettre en évidence le potentiel inclusif des technologies. Le Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur pourrait proposer des avenues pour assurer ce potentiel inclusif, tout en prévenant les enjeux de santé mentale liés à l’anxiété et à l’isolement que peuvent ressentir les étudiant·e·s dans ce contexte.

4. Pour une plus grande utilisation de la recherche sur l’inclusion au collégial

Le CRISPESH est un centre de recherche collégiale dont un des axes est l’inclusion scolaire. Notre ambition est de fournir au réseau collégial du Québec des connaissances issues de la recherche pertinentes et utiles pour la réussite éducative, dans une perspective inclusive qui tient compte des situations de handicap. Il n’existe pour le moment aucun portrait au collégial des étudiant·e·s en situation de handicap, et leur réussite et leur persévérance scolaire sont sous-documentées. De telles connaissances permettraient pourtant aux cégeps d’ajuster leur offre d’accommodements et de services, de développer des actions et programmes spécifiques pour répondre aux besoins identifiés, et de mieux comprendre l’évolution de la réussite éducative de ces étudiant·e·s. Les données existantes qui permettraient d’informer les cégeps, tout comme le ministère, sont toutefois difficilement accessibles : des enjeux éthiques de protection des étudiant·e·s et de leurs données personnelles expliquent en partie cette situation. Par ailleurs, bien que les CCSI soient d’un soutien précieux à ce sujet, aucune structure n’a aujourd’hui le mandat de colliger, analyser et diffuser de façon exhaustive ces données dans le réseau. Pour le CRISPESH, s’atteler à ce défi d’accès aux données est une priorité autant pour le réseau que pour permettre à notre Centre de remplir sa mission à son égard. 

Le CRISPESH, à l’instar des autres centres collégiaux de transfert du Québec, a également le mandat d’agir comme intermédiaire entre la recherche et les milieux partenaires, comme les cégeps. Le projet du Centre de transfert pour la réussite éducative au Québec (CTREQ), mené en partenariat avec l’Association pour la recherche au collégial, intitulée « Comment tirer le meilleur des résultats de la recherche collégiale afin d’améliorer la réussite éducative », est à ce titre tout à fait pertinent et novateur. Les centres collégiaux de transfert du Québec pourront utiliser à bon escient les résultats de ce projet, dans lequel le CRISPESH est impliqué, en particulier si des financements dédiés au transfert des connaissances viennent soutenir leur mandat. 

Sur la route de la réussite éducative

Avec le Chantier sur la réussite en enseignement supérieur, le ministère a offert au CRISPESH l’occasion de réfléchir à la réussite éducative des étudiant·e·s en situation de handicap. Les voies d’action sont multiples et leur synergie potentielle réelle : le CRISPESH s’engage à mettre la main à l’ouvrage, au côté de ses partenaires, pour y contribuer !

Rédaction: Émilie Robert, directrice de la recherche et du transfert, CRISPESH

Merci à Audrey Bigras, Mildred Dorismond, Leslie Dubent, Roch Ducharme, Laure Galipeau, Christine Morin, Evelyne Pitre, Paul Turcotte et Cédric Lamathe pour leurs contributions.

Skip to content